Hommage à André Bergeron L’indépendance comme principe, le progrès social comme combat

, par udfo90

Homme de bon sens, père tranquille du syndicalisme, artisan du compromis, André Bergeron restera sans doute, pour beaucoup, le syndicaliste incarnant le mieux la construction et la consolidation d’acquis sociaux collectifs.

De l’Assurance chômage au Smig

Entré au bureau confédéral de la CGT-FO en 1956, le secrétaire général d’alors étant Robert Bothereau, André Bergeron prit une part déterminante aux discussions puis aux négociations qui allaient aboutir, le 31 décembre 1958, à l’accord fondateur de l’Unedic et des Assedic, donnant ainsi naissance à l’Assurance chômage. Le système, financé par les cotisations des salariés et des entreprises, était fondé sur la base d’une association gérée paritairement par les syndicats de salariés et les organisations d’employeurs. André Bergeron racontait qu’après son élection à la présidence de l’Unedic, il était allé voir Georges Pompidou pour lui expliquer qu’avait été retenue pour hypothèse de travail 400 000 chômeurs, étant donné que lors de la Grande Dépression des années 1930 on n’en avait jamais indemnisé davantage. Le président de la République lui avait alors répondu : « Vous savez, si par malheur nous en venions là – 400 000 chômeurs –, l’opinion ne le supporterait pas. »

En 1968, André Bergeron, alors Secrétaire général de Force Ouvrière depuis 1963, conduisait bien sûr la délégation FO lors des négociations qui allaient aboutir aux accords de Grenelle. Ces accords portaient en particulier sur le Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti), devenu depuis le Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance). FO avait alors obtenu que celui-ci soit porté à 3 francs [1] l’heure (soit 40 % d’augmentation), alors que la CGT et le gouvernement, représenté par Jacques Chirac, s’étaient entendus sur 2,70 francs ! FO se félicitait aussi que les abattements de zone aient été supprimés.

« On ne réglemente pas le droit de grève »

Symboliques du « grain à moudre », formule dont il fit le titre d’un ouvrage [2], ces deux épisodes marquants ne doivent pas masquer le fait qu’André Bergeron concevait le réformisme comme moyen du conflit et résultat du rapport de force établi par la classe ouvrière face au patronat et au gouvernement. Ainsi, le rapport d’activité du congrès de la CGT-FO de 1969 ne manquait pas de souligner qu’il « avait fallu les événements de mai [1968] pour que le gouvernement, sous la pression des circonstances, fasse un réel effort [sur le Smig] ». Ce rapport comprenait d’ailleurs un paragraphe consacré à la grève, « arme suprême des travailleurs », et le Comité confédéral national venait de créer un fonds national de solidarité et de grève. Dans son rapport oral, André Bergeron soulignait aussi que les faits avaient montré « qu’on ne réglemente pas le droit de grève », ce que, rapportait-il, FO n’avait eu de cesse de dire à tous les gouvernements.

FO entre en résistance contre la flexibilité

La période d’exercice du mandat de Secrétaire général de FO par André Bergeron est associée à celle des Trente Glorieuses, porteuses de croissance et de marges de progrès social, mais il eut aussi à affronter le tournant des années 1980, qui amorçait le long cycle de crises et de déréglementations économiques que nous subissons encore aujourd’hui. En décembre 1984, à l’issue d’intenses débats, le bureau confédéral de FO décidait de ne pas signer l’accord sur « l’adaptation de l’emploi ». André Bergeron, qui, jusqu’au bout, espérait que la négociation collective et le compromis l’emporteraient, était lucide sur la signification de cette négociation voulue par le CNPF (Conseil national du patronat français, le prédécesseur du Medef). Devant les délégués du congrès confédéral de mai 1984, il fait le constat du changement de tactique du patronat, qui « présente ses revendications, […] oppose à chaque demande une contrepartie en échange de ce qu’il pourra concéder [voire] prend les devants, comme ce fut le cas pour l’aménagement du temps de travail, la flexibilité ». André Bergeron appelait les militants FO à être « vigilants face aux offensives patronales et aux campagnes de presse visant à faire passer ces exigences patronales », dont il dénonçait le fait qu’elles « mettraient en pièces toute la législation et la réglementation du travail, pas uniquement en ce qu’elles déterminent une durée hebdomadaire du travail, mais aussi comme élément déterminant du salaire mensuel de base, de calcul des heures supplémentaires ». Le non de FO fit échouer la négociation, aucun syndicat à l’époque n’osant prendre la responsabilité d’engager sa signature. Le journal Le Monde ne s’est peut-être pas trompé sur la portée de cette position de FO en 1984, estimant, vingt-neuf années plus tard, au lendemain de la signature, le 11 janvier 2013, de l’accord sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi par le Medef et la CFDT notamment, que c’était « la première fois, depuis l’échec de la négociation de 1984 sur la flexibilité, qu’est signé un tel texte ». [3]

Liberté et indépendance

André Bergeron demeurera bien sûr une des grandes figures de la liberté et de l’indépendance syndicales. Il fut des militants qui œuvrèrent à la constitution de la CGT-FO en créant et animant les groupes FO au sein de la fédération du Livre CGT. Cet attachement à l’indépendance syndicale conduisit plus tard la Confédération à appeler à voter non au référendum organisé par le général de Gaulle. Dans son rapport introductif devant les délégués du congrès de 1969, André Bergeron opposait au projet de fusion du Sénat et du Conseil économique et social, « condamnable dans son principe même », que FO avait « toujours considéré que la gestion de l’État est l’affaire du citoyen et non du syndiqué ». Il ne manquait pas non plus, déjà à l’époque, de s’inquiéter de ce que la réforme régionale associée à ce projet n’ait « pour conséquence d’aggraver les écarts entre les régions ».

BIOGRAPHIE
 1er janvier 1922. Naissance d’André Bergeron à Suarce (Territoire-de-Belfort).
 1936. Première carte syndicale comme apprenti typographe.
 1948. Secrétaire permanent de l’Union départementale FO de Belfort.
 1956. Entrée au bureau confédéral de FO.
 1958. Premier président de l’Unedic. En alternance avec le patronat, il en sera le président jusqu’en 1990.
 1963-1989. Secrétaire général de la CGT-FO. Élu à l’issue du VIIIe congrès confédéral de novembre 1963, à la Mutualité, à Paris, il passera le relais à Marc Blondel en février 1989.

[1] Le pouvoir d’achat de 3 francs de 1968 était l’équivalent de celui de 3,56 euros actuels.

[2] Tant qu’il y aura du grain à moudre, André Bergeron et Philippe Bauchard, éditions Robert Laffont, 1988.

[3] « Négociation sur l’emploi : le pari de la CFDT et du patronat sur la flexibilité », Claire Guélaud, Le Monde, 12 janvier 2013.